LES ORDRES

 

GENÈSE & HISTOIRE

 

L’époque des croisades marque la naissance des Ordres religieux, militaires et hospitaliers ; aux moines-soldats assurant la sécurité et la défense des hospices et des lieux saints. Ces combattants de Dieu se distinguaient alors par le port de vêtements ornés d’une croix ; chaque institution ayant sa propre croix, de forme et de couleur particulières. Mais après l’abandon des terres d’Orient chrétiennes, maints de ces Ordres disparaîtront au fil du temps, tel le célèbre Ordre du Temple. Ceux qui survécurent, évoluèrent et se sécularisèrent. L’un des plus illustres est, sans nul doute, l’Ordre souverain militaire et hospitalier de Saint-Jean de Jérusalem, de Rhodes et de Malte ; plus généralement connu sous le nom d’Ordre de Malte.

En Europe, entre les 14e et 16e siècles, des rois s’inspirèrent de ces prestigieux Ordres religieux, pour créer leurs Ordres de chevalerie, rassemblant autour d’eux un groupe de féaux ; gents de noblesse liés par serment à leur personne, famille et cause politique. Évoquons, pour l’exemple, l’Ordre de la Jarretière fondé en 1334 par Edward III d’Angleterre et l’Ordre de la Toison d’Or fondé en 1430 par Philippe le BON, duc de Bourgogne. L’époque voit aussi la création de confréries-Ordres, tel l’Ordre de Saint-Hubert fondé dans le Barrois en 1416 ou l’Ordre de Saint-Georges de Franche-Comté créé en 1431.

Au royaume de France, trois grands Ordres royaux de chevalerie virent le jour. En 1469, Louis XI créait l’Ordre de Saint-Michel puis, en 1578, Henri III instituait le prestigieux Ordre du Saint-Esprit. Enfin, en 1607, le Roi Henri IV fondait l’Ordre militaire de Notre-Dame du Mont-Carmel et le réunissait, dès l’année suivante, à l’ancien Ordre de Saint-Lazare ; créant ainsi l’Ordre de Saint-Lazare et de Notre-Dame du Mont-Carmel. Voulant imiter les monarques, quelques grands seigneurs des provinces du royaume, fondèrent des Ordres dits « provinciaux », comme le furent l’Ordre du Croissant, l’Ordre de l’Hermine et de l’Épi, etc..

Dans tous ces Ordres, et tout particulièrement dans les Ordres royaux, les Chevaliers, pieux guerriers de naissance noble, pouvaient s’enorgueillir d’appartenir à une élite groupée autour de la personne du roi, grand maître de l’institution, en arborant constamment la marque de l’Ordre, constituée souvent par un emblème à l’image du saint patron ou d’une figure héraldique, suspendu à un collier. Avec le temps, cette marque deviendra, généralement, une croix émaillée portant en son centre, un médaillon représentant l’emblème originel. Qu'elle fut portée sous la forme d’une plaque fixée sur la poitrine ou suspendue à un large ruban appelé « cordon », la croix symbolisait clairement l’appartenance à une élite, une caste. Le philosophe Michel Eyquem de MONTAIGNE, n’avait-il pas dit des Ordres : « Cela a été une belle invention, et reçue en la plus part des polices du monde, d’établir certaines marques vaines et sans prix pour en honorer et récompenser la vertu... Nous avons pour notre part, et plusieurs de nos voisins, les Ordres de chevalerie, qui ne sont établis qu’à cette fin. C’est à la vérité une bonne et profitable coutume de trouver moyen de reconnaître la valeur des hommes rares et excellents et de les contenter et satisfaire par des paiements qui ne chargent aucunement le public et qui ne coûtent rien au prince ».

Mais tous ces Ordres de chevalerie présentaient un défaut majeur, parce qu’exclusivement ouverts à la noblesse. En effet, l’évolution de la société, avec l’apparition d’une élite bourgeoise et l’accès de quelques roturiers à de plus hautes fonctions, imposa progressivement la création de nouveaux Ordres basés, non plus sur la naissance, la religion et la fortune, mais sur le mérite de l’individu. Les statuts de quelques Ordres de chevalerie furent donc aménagés dans ce but. Ainsi, vers la fin du 17e siècle, l’Ordre de Saint-Michel fut peu à peu utilisé pour récompenser et honorer les grands hommes des lettres, des arts et des sciences. Tous les récipiendaires d’origine roturière étaient anoblis en entrant dans l’Ordre. Mais c’est au Roi Louis XIV, que l’on devra la création, en 1693, du premier grand Ordre de mérite français, l’Ordre royal et militaire de Saint-Louis. Cependant, ce nouvel Ordre restait restrictif sur le plan religieux, car ouvert aux seuls officiers catholiques. Pour remédier à cela et réparer cette injustice, Louis XV fondera en 1759, pour les officiers protestants, l’Institution du Mérite militaire ; qui ne fut pas à proprement parlé un Ordre, quoique sous maints aspects l’on puisse la confondre avec, mais plutôt une décoration. Ce fut aussi à cette époque qu’apparut une hiérarchie dans certains Ordres, symbolisée par la création de grades et de dignités : Chevaliers, Officiers, Commandeurs, Grands Officiers, etc.. La période Révolutionnaire verra l’évolution des Ordres de mérite encore s’accélérer. Le 30 juillet 1791, un décret de l’Assemblée nationale supprimait les Ordres de Saint-Michel, du Saint-Esprit et de Saint-Lazare et Notre-Dame du Mont-Carmel. Par ailleurs, cette même année, l’Ordre royal et militaire de Saint-Louis et l’Institution du Mérite militaire fusionneront en devenant la Décoration militaire.

Lorsque la République est proclamée en 1792, cette Décoration militaire, dernière survivante des Ordres de chevalerie, disparaît. La jeune France républicaine ne possède plus alors aucun Ordre. Cependant, la noblesse en exil continue d’attribuer quelques-uns des Ordres monarchiques précités. C’est au cours de l’année 1802, qu’a lieu la naissance de l’archétype de l’Ordre de mérite moderne : la Légion d’honneur, que l’on doit au premier consul Napoléon BONAPARTE. Le Chevalier est enfin dégagé des contraintes de la foi, mais, néanmoins, toujours astreint à prêter un serment de fidélité ; serment qui ne sera abrogé définitivement qu’en 1870, sous la 3e République. Mais BONAPARTE, devenu en 1804 Empereur des français sous le nom de Napoléon Ier, ne se contentera pas d’être uniquement le géniteur de la Légion d’honneur. Lorsqu’il est couronné en 1805, Roi d’Italie, il fonde l’Ordre de la Couronne de fer, pour asseoir son autorité dans cette partie de l’Empire. Puis, en 1809, il décide la création d’un Ordre militaire, appelé Ordre impérial des trois Toisons d’Or, mais qui, en raison d’une forte opposition de certains milieux, sera dissous dès 1813, sans avoir pu concrètement exister. L’année 1811 voit la création de l’Ordre impérial de la Réunion, devant répondre à deux objectifs : épauler la Légion d’honneur et, en outre, remplacer par un Ordre français, les Ordres étrangers abolis dans les pays conquis et annexés.

La chute de l’Empire et le retour d’un roi sur le trône de France, vont marquer le renouveau des anciens Ordres de la monarchie, abolis sous la période Révolutionnaire : Saint-Michel, Saint-Esprit, Saint-Lazare et de Notre-Dame du Mont-Carmel, Saint-Louis et le Mérite militaire sont rétablis. Quant aux Ordres impériaux, leur fortune est diverse. Si l’Ordre de la Couronne de fer devient, à partir de 1816, un Ordre autrichien ; l’Ordre de la Réunion, quant à lui, disparaît complètement. Mais la Légion d’honneur, déjà très populaire, est conservée et modifiée ; l’institution napoléonienne devenant alors l’Ordre royal de la Légion d’honneur. L’année 1830 marque à nouveau une étape importante de l’histoire des Ordres français, lorsque le Roi Louis-Philippe abolit définitivement, par la charte constitutionnelle rénovée, tous les Ordres monarchiques précités. Une nouvelle fois, la Légion d’honneur sort indemne de ce virage institutionnel de la France, et est alors définitivement consacrée comme la plus haute récompense nationale, militaire et civile.

Au cours de la seconde moitié du 19e siècle, la France s’engage dans une importante politique d’expansion coloniale, tout particulièrement en Afrique et en Extrême-Orient. Dans certaines des contrées conquises, les pouvoirs en place avaient parfois déjà institué des Ordres. En 1896, la République colonisatrice adopta quelques-uns d’entre eux pour en faire les Ordres coloniaux français : l’Ordre royal du Cambodge, l’Ordre de l’Étoile d’Anjouan, l’Ordre du Dragon d’Annam, l’Ordre du Nichan El-Anouar et l’Ordre de l’Étoile noire. Ces Ordres furent alors gérés par la Grande chancellerie de la Légion d’honneur et généralement utilisés pour récompenser les services militaires ou civils en Outre-mer.

Parallèlement, se créaient en métropole, à partir de la fin du siècle dernier, des Ordres de mérite spécialisés, appelés « Ordres des ministères » ou encore « Ordres ministériels », dont le but principal était de soulager les effectifs sans cesse croissants de la Légion d’honneur. Ainsi, verront le jour : l’Ordre du Mérite agricole en 1883, l’Ordre du Mérite maritime en 1930, l’Ordre du Mérite social en 1936, l’Ordre de la Santé publique en 1938, l’Ordre du Mérite commercial en 1939, l’Ordre du Mérite artisanal en 1948, l’Ordre du Mérite touristique en 1949, l’Ordre du Mérite combattant et l’Ordre du Mérite postal en 1953, l’Ordre de l’Économie nationale en 1954, l’Ordre des Palmes académiques en 1955, l’Ordre du Mérite sportif en 1956, l’Ordre du Mérite du travail, l’Ordre du Mérite militaire, l’Ordre des Arts et des Lettres et l’Ordre du Mérite civil en 1957, enfin, l’Ordre du Mérite saharien en 1958. Une remarque s’impose toutefois pour les Palmes académiques : si elles sont instituées en Ordre ministériel en 1955, leur création remonte en fait à 1808, lorsque fut définie l’organisation de l’université impériale.

Durant la période trouble de la seconde guerre mondiale, deux Ordres bien opposés, l’un à l’autre, seront créés. En 1940, le général de GAULLE, chef des Français Libres, fondait à Brazzaville, un Ordre de chevalerie militaire contemporain, ressemblant sur quelques aspects, aux anciens Ordres de l’époque médiévale. Cet Ordre, dénommé Ordre de la Libération, n’a qu’un seul grade, appelé « Compagnon », et son fondateur pour unique Grand maître. N’étant plus attribué depuis 1946, il est actuellement en voie d’extinction avec ses derniers titulaires. Parallèlement, sur le sol de France, le gouvernement de Vichy instituait, en 1942, l’Ordre national du Travail.

Nous avons pu constater, précédemment, que l’après-guerre avait vu la création de nombreux Ordres de mérite ministériels. Avec le début des années 60, s’ouvre une période de toilettage de nos institutions. La 5e République instaure en 1962, le Code de la Légion d’honneur, rajeunissant et dépoussiérant la célèbre institution nationale. Puis, en fin d’année 1963, les Ordres ministériels subissent un sérieux « coup de balai », avec la création d’un second grand Ordre de mérite, l’Ordre national du Mérite. De tous les Ordres des ministères précités, ne seront alors conservés que l’Ordre des Palmes académiques, l’Ordre du Mérite agricole, l’Ordre du Mérite maritime et l’Ordre des Arts et des Lettres. Depuis cette époque, l’Ordre national du Mérite récompense les mérites distingués des citoyens, la Légion d’honneur récompensant leurs mérites éminents.

Ainsi, depuis sa création, notre Légion d’honneur a donc traversé sans trop de heurts, les tempêtes et les différents changements de régimes qu’a connus notre pays. Elle a en évoluant, su préserver son caractère prestigieux, malgré, de çà et là, des polémiques et quelques excès ou scandales dans son attribution. Aux 19e et 20e siècles, ses statuts ont servi de modèle et ont été copiés par maintes nations désireuses d’instaurer un Ordre de mérite national ; confirmant ainsi, s’il en était encore besoin, l’importance et le rayonnement international de l’institution, dont le symbole, la croix, est toujours autant convoitée.

Enfin, ce chapitre consacré aux Ordres français ne saurait être clos, sans évoquer la naissance inattendue d’un Ordre territorial, puisque fondé en Polynésie française ; un de nos Territoires d’Outre-Mer ( T.O.M. ). En effet, l’année 1996 a vu la création discrète de l’Ordre de Tahiti Nui, récompensant les mérites distingués des citoyens de ce territoire du sud Pacifique. Dans un futur plus ou moins proche, la possible émancipation de certains de nos « confettis de l’Empire » entraînera-t-elle l’éclosion de nouveaux Ordres à caractère régional ? C’est ce que l’avenir nous dira sans doute...

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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